Contributions écrites des étudiants — 17 novembre 2021

Investissements étrangers et stabilité politique : la Côte d’Ivoire un cas d’école ?

Par Kevin Jordan Gabriel Nchanda, étudiant d’IRIS Sup’, auteur d’un mémoire intitulé « Investissement étranger et stabilité politique : la Côte d’Ivoire un cas d’école ? », sous la direction de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, économiste et responsable pédagogique de la formation Géoéconomie, gestion des risques et responsabilité de l’entreprise.

 

Pour l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), « les investissements directs à l’étranger, ou investissements directs étrangers (IDE en abrégé, traduction de l’acronyme anglais FDI pour Foreign Direct Investment), également appelés investissements directs internationaux (IDI) sont les mouvements internationaux de capitaux réalisés en vue de créer, développer ou maintenir une filiale à l’étranger et/ou d’exercer le contrôle (ou une influence significative) sur la gestion d’une entreprise étrangère. »[1]. Éléments moteurs de la multinationalisation des entreprises, les IDE recouvrent aussi bien les créations de filiales à l’étranger que les fusions-acquisitions transfrontières. Deux motivations principales sont à l’origine de ces investissements : la réduction des coûts (exploitation de ressources naturelles dont le transport est très couteux, voire impossible ; utilisation d’une main-d’œuvre moins onéreuse, d’où la crainte que les IDE puissent participer au mouvement de délocalisations ; optimisation fiscale) ; la conquête de nouveaux marchés difficiles à pénétrer par les seules exportations. Parce que réalisés à l’étranger, ces investissements se révèlent plus risqués pour les entreprises que des investissements domestiques. De fait, ils sont réalisés dans des pays moins développés, voire instables, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’investissements proches de ressources naturelles dont on sait pertinemment que leur exploitation donne lieu à des rivalités, ou à des conflits locaux et régionaux pour en capter la rente. Par ailleurs, les pays en développement ou émergents sont économiquement plus sensibles aux crises – qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou financières – que les économies avancées qui sont quant à elles plus diversifiées et donc plus stables en termes de croissance et de développement. Enfin, investir à l’étranger place les investisseurs dans une incertitude juridique : qui est compétent pour juger de potentiels différents ? La justice du pays d’accueil peut-elle vraiment être impartiale ? Peut-elle envisager de condamner une entité nationale dans un conflit qui l’opposerait à une entité étrangère ?

Face à ces incertitudes, les investisseurs optent, le plus souvent, pour des pays où ces risques sont maîtrisés et/ou qui présentent des garanties de retour sur investissement. La stabilité, ou à l’inverse l’instabilité politique, en sont des déterminants clés puisque la croissance économique et la rentabilité/durabilité de l’investissement en dépendent fortement.

La Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest représente un cas d’étude intéressant à ce sujet. En effet, le pays des éléphants possède sans aucun doute l’une des économies les plus abouties de la région. Depuis 2012, le pays a connu une progression de son PIB située entre 6% et 8% par an[2]. Cette croissance est le fruit d’une agro-industrie en pleine expansion, d’infrastructures modernes, d’une place financière importante en Afrique de l’Ouest, d’une main-d’œuvre qualifiée, d’une situation géographique privilégiée, d’un marché intérieur dynamique, d’un environnement institutionnel favorable aux affaires ainsi que d’une protection de l’investissement privé. Ce hub économique attire les investisseurs, d’autant plus que le pays offre un cadre consulaire novateur et particulièrement incitatif. Ainsi, on dénombre près de trois cents entreprises françaises présentes sur le territoire ivoirien mais aussi des entreprises canadiennes, américaines et chinoises.

Évolution des investissements directs étrangers au cours des cinquante dernières années [3].

 

La Côte d’Ivoire doit cependant faire face à de nombreux défis en dépit de sa position de champion régional. Son principal défi relève de sa stabilité politique. En effet, la Côte d’Ivoire doit constamment faire face à des tensions ethniques et politiques qui menacent sa stabilité. À l’approche de l’élection présidentielle, le spectre de la violence, des affrontements et des revendications est toujours à craindre. On a encore en mémoire les troubles des années 2000, 2010-2011 et même de 2020. En effet, la récente élection du président Alassane Ouattara en 2020 s’est déroulée dans un contexte de violences et d’appels au boycott de la part de l’opposition. Cette élection a fait craindre des litiges fonciers qui, associés au concept d’ivoirité, pourraient dégénérer en une lutte xénophobe. Sur le graphique ci-dessus, on observe qu’il y a eu une baisse des IDE à chaque fois que des affrontements politico-armés ont eu lieu. Pourtant, en situation de paix et de stabilité comme c’est le cas depuis 2011, le pays nourrit de nouveau l’engouement des investisseurs. Le constat est donc clair, la stabilité politique du pays est très fragile. Pour autant, le gouvernement est résolu à tourner la page de ces luttes politiques par une réconciliation nationale articulée autour d’un dialogue entre les fils de la Côte d’Ivoire d’une part, et un renouvellement générationnel de sa classe politique d’autre part. Dans le même temps, après dix ans de détention à la Cour Pénale Internationale, l’ancien président Laurent Gbagbo a pu regagner le berceau de ses ancêtres, innocenté par la CPI des faits qui lui étaient reprochés lors de la crise postélectorale de 2010. Il sera intéressant de voir si le projet de réconciliation nationale porte ses fruits en 2025 avec une élection présidentielle apaisée. En lien avec les IDE, cet environnement politique met en évidence que même si la Côte d’Ivoire attire les IDE du fait de son énorme potentiel de croissance, l’instabilité politique est un handicap alors que la stabilité politique est porteuse de croissance économique.

___________________________________________________________

[1] Le dictionnaire du commerce international, « Investissement direct à l’étranger », Glossaire international, disponible sur : https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/investissement-direct-a-l-etranger-ide.html

[2] Chiffre de la Banque mondiale

[3] Données de la Banque mondiale

Dernière mise à jour

Plus d’actualité du même type

Toute l'actualité
  • Contributions écrites des étudiants, Non classifié(e) — 22 décembre 2023

    Qui est Victoria Villarruel, la nouvelle vice-présidente de l’Argentine ?

    Lire la suite
  • Contributions écrites des étudiants — 24 mai 2023

    Chili : le nouveau paysage politique après le 7 mai 2023

    Lire la suite
  • Contributions écrites des étudiants — 11 mai 2023

    Les enjeux éthiques liés aux drones armés

    Lire la suite
  • Contributions écrites des étudiants — 3 mars 2023

    L’importance du facteur humain dans la lutte contre la cybercriminalité : développer une résilience durable par une meilleure prévention et formation au niveau national

    Lire la suite